Par un bel après-midi de juillet 2041, une boutique à l'enseigne « Babydiscount » à Paris, dans le XVIe.
Le vendeur au couple qui vient de rentrer dans la boutique : « Bonjour M'sieur-dame... euh, je veux dire, bonjour messieurs. »
Le plus maniéré des deux clients : « Bonjouuur ma chère, mais ne faites donc pas de chichis et appelez-moi donc Zaza, tout simplement ! »
Le vendeur : « Que puis-je donc faire pour vous, Zaza ? »
Zaza : « Eh ben voilà, on se demandait l'autre jour, avec Renato... » se retournant vers son compagnon « - n'est-ce pas Renato ?- si on allait pas acheter un bébé... »
Le vendeur : « Vous êtes au bon endroit pour cela, puisque c'est précisément ce que vous propose notre enseigne «Babydiscount». »
Renato : « Zaza voulait voir ce que proposait Amazon, mais tout bien pesé, rien ne vaut un conseil personnalisé, n'est-ce-pas ? »
Le vendeur : « Je ne vais pas vous contredire là-dessus, évidemment ! Alors, que recherchez-vous précisément ? »
Zaza : « Et elle a un catalogue à nous montrer, notre belle vendeuse ? »
Le vendeur : « Bien sûr ! Je vais vous montrer ça, mais se pose d'abord, vous l'imaginez bien, la question du budget. Il est déterminant pour le choix que je peux vous proposer. Combien êtes-vous prêts à mettre dans cet achat ? »
Renato : « Le Cabaret que je gère et qu'anime Zaza marche très bien, le budget n'est pas un problème. »
Le vendeur : « Fort bien. Et votre choix se porterait plutôt sur un garçon ou sur une fille ? »
Zaza : « Oooooh, ça n'a pas trop d'importance, en fait, on en fera ce qu'on voudra, n'est-ce-pas ? »
Renato : « Oui, ce que veut dire mon ami, c'est que ça se fera en fonction de l'éducation qu'on lui donnera. Après tout, on nous dit bien que le genre n'est qu'une construction sociale, n'est-ce pas ? D'ailleurs, il se peut qu'on change cette éducation en cours de route, un coup pour en faire un garçon, un coup pour en faire une fille, car Zaza et moi ne sommes pas encore fixés sur ce que nous voulons vraiment ! Vous me direz que si on se trompe ou si on change d'avis, on pourra toujours en faire un trans... »
Le vendeur : « Sachez justement que ce genre d'opération est aussi dans le domaine de compétence de notre enseigne. D'une de nos entreprises-soeurs, plus précisément : « Transdiscount ». »
Zaza : « Ah, Transdiscount, c'est vous aussi ? Mais vous êtes une petite cachotière, vous ! »
Le vendeur : « Absolument, nous faisons partie de la même multinationale basée à New York, qui s'appelle « Family Happiness incorporated». Mais, pour l'instant, votre préférence irait pour un bébé de quelle race? »
Renato : « Que nous conseillez-vous ? »
Le vendeur : « Oh eh bien, si votre budget n'a pas de limite, sachez que ce qui est le plus demandé, c'est la race blanche, avec une nette préférence pour le blond aux yeux bleus ! Surtout pour une fille. Mais là, on atteint les prix les plus hauts. »
Renato : « Ah oui ? Mais si on veut surtout un bébé intelligent ? »
Le vendeur : « Vous pouvez bien sûr faire un tri en fonction du profil professionnel des géniteurs, ou, si vous voulez jouer sur les statistiques, optez pour une race asiatique. Le continent asiatique est à l'origine des QI les plus élevés de la planète. »
Zaza : « Alors, ça se complique ! Asiatique ou blond aux yeux bleus, ouh la la, quel dilemme ! »
Le vendeur : « Après, c'est une affaire de goût ! Les yeux bridés, pour les Européens, ont un charme certain. Alors si en plus, le bébé a davantage de chances d'être intelligent... Au Japon, en revanche, les yeux ronds sont appréciés. S'ils peuvent faire abstraction du fait que la race blanche donne des signes évidents d'être une fin de race, des acheteurs asiatiques peuvent volontiers choisir un bébé de race blanche. »
Zaza : « Et pourquoi pas un métis ? Ça serait rigolo, ça, un métis ! Qu'en dis-tu Renato ? »
Le vendeur : « Tout est possible bien sûr, mais j'avais cru comprendre que vous n'aviez pas de contrainte budgétaire, c'est pour ça que je ne vous ai pas parlé de notre gamme Mélenchon... »
Renato : « Votre gamme Mélenchon ? »
Le vendeur : « Oui, c'est le titre de notre entrée de gamme. Elle porte le nom d'une personnalité politique d'il y a une vingtaine d'années, qui voulait faire la promotion du métissage. Il appelait ça, la « créolisation » de la société, dont elle avait, selon lui, tout à se réjouir... Il y avait d'ailleurs à l'époque une intense campagne de pub, partout, à la télévision comme dans les médias papier, pour promouvoir ce mélange des races. Il n'y avait plus moyen d'avoir une pub de yaourt, de site de rencontre, de bricolage, de soupes ou de n'importe quoi d'ailleurs, sans mettre en scène des couples Blanc/Noir, le plus souvent un Noir et une Blanche, plus rarement une Noire avec un Blanc. Souvent, on ne s'embarrassait d'ailleurs pas de cohérence, en présentant parfois un couple de Blancs parents d'une fille noire plus ou moins albinos aux cheveux crépus, ou un couple Noir/Blanche avec un bébé blond dans les bras. Bref, c'était un matraquage de tous les instants. Mais aujourd'hui, vingt ans plus tard, on en est là : les bébés abusivement appelés « créoles » alors qu'ils sont en réalité métissés, figurent dans notre gamme Mélenchon, à petits prix. Vous savez, les acheteurs de bébés sont comme les acheteurs de chiens. Ils préfèrent les races pures aux bâtards. Pourtant, il y a des beaux bâtards et des bâtards intelligents, mais que voulez-vous, c'est la loi de l'offre et de la demande ! »
Renato : « Faire le choix d'une race pure n'est pas une garantie non plus, faut avouer ! Imaginez que le bébé que nous pourrions vous acheter soit un Mélenchon ou une Obono en devenir !!! »
Le vendeur, complice : « Pire, imaginez qu'on vous vende un métissé ou une métissée des deux ! »
Grand éclat de rire général qui détend l'atmosphère.
Le vendeur, rassurant: « Trêve de plaisanterie, en croisant les critères génétiques comme notre enseigne le fait avec le plus grand sérieux et en utilisant les meilleurs algorithmes, on réduit efficacement les risques. »
Zaza : « Bien, bah, ma chère, on va réfléchir, n'est-ce-pas Renato ? En fait, on hésite encore sur ce projet de bébé. L'alternative pourrait être d'investir dans une villa avec piscine au Portugal. Fiscalement, c'est très intéressant, et en plus, il paraît qu'on y vit en sécurité, sans trop d'immigration, dans une bonne ambiance qui rappelle la France des années soixante, et pour bien moins cher ! »
Le vendeur : « A votre service, n'hésitez pas à revenir lorsque vous serez décidé sur votre investissement. »
Renato : « A propos, pour le bébé, vous faites une garantie satisfait ou remboursé, n'est-ce-pas ? »
Le vendeur : « Bien sûr ! Si vous n'êtes pas satisfait, un échange est possible pendant 2 ans à dater du jour de l'achat. Sachez aussi que nous vous faisons 20% de réduction pour votre second achat à notre enseigne, s'il intervient dans les deux ans qui suivent le premier. »
Zaza : « Oh eh bien, c'est rudement chou, ça ! Au revouâââr, ma chère, à bientôt peut-être. Tu viens Renato ? »
Saucisson-Pinard : On vit vraiment une époque formidable. Et on se prépare un avenir encore plus formidable, non ?