Un lundi matin de
Novembre 2015, dans une salle de rédaction d'une chaîne de
télévision, dans la France de Hollande Ouille...
C'est un brouhaha
général parmi les porteurs de carte de presse qui discutent autour de tasses de café.
Le rédac'chef demande le silence et déclare :
- « Mesdames,
messieurs, je vous ai réunis ce matin afin d'avoir vos suggestions
de sujet de reportage, afin que nous restions sur la lancée de cette
formidable aventure journalistique qu'a été pour nous l'accident du
car de Puisseguin.
Il est en effet
nécessaire que nous gardions sous le coude, pour les jours de vaches
maigres, ces dossiers que des attachés de presse nous apportent
régulièrement. Vous savez, ces infos particulièrement
insignifiantes que les téléspectateurs du journal de matin de notre
chaîne entendent, puis retrouvent à midi sur une chaîne
concurrente et ensuite le soir aux infos d'une troisième chaîne,
après les avoir entendues toute la journée sur les différentes
stations de radio...
Alors, mesdames,
messieurs, je vous écoute, je veux de l'émotion, du palpitant, du
politique, du consensuel... »
Une main se lève dans
l'assistance. C'est celle d'une jeune recrue, la dernière embauchée
dans l'équipe éditoriale, pleine de l'enthousiasme naïf du
débutant.
- « On
pourrait réaliser une vaste enquête sur le phénomène de
décivilisation du pays en décortiquant les symptômes auxquels on
assiste quotidiennement : en évoquant les agressions dont sont
victimes les pompiers, corps de métier jadis respecté et aimé du
public, jusqu'aux maladies d'un autre temps qu'on pensait éradiquées
dans notre pays et qui reviennent en force avec l'arrivée
d'étrangers important leurs normes hygiéniques sans rapport avec
celles des civilisés européens, en passant par l'inculture
croissante constatée dans la jeune génération qui doit abaisser
sans cesse son niveau d'exigence pour se mettre au niveau des
immigrés et... »
- « Oh là, oh
là, où vous allez là ? » l'interrompt brutalement le
rédac'chef qui se penche vers son adjoint pour lui murmurer,
incrédule :
- « Qui c'est
celui-là ? Il sort d'une école de journalisme, lui ? »
- « Non, lui
répond l'adjoint. C'est un autodidacte, fan de Zemmour... »
- « Ben tu gardes
un œil dessus, alors. Va falloir le briefer vite fait... »
Puis à l'intention de
l'impertinent :
- « Attends, tu
cherches le Pulitzer ou des ennuis avec nos autorités de tutelle ? »
Puis se tournant vers les
autres journalistes :
- « Des idées
réalistes, s'il vous plaît !»
Une autre main se lève.
Celle d'un ancien, cette fois. D'un qui connaît la musique. D'un qui
fait quasiment partie des murs. Faut dire qu'il a usé ses fonds de
pantalon davantage sur son fauteuil, à lire confortablement des
dossiers de presse, sorte de « reportages clés en mains »,
que sur le terrain à chercher l'information là où elle est. Il
sait parfaitement ce que veut entendre son rédac'chef.
- « J'ai appris que
la petite Marion de la rue Jean Jaurès à Clichy-sous-bois a vu son
petit caniche passer sous un camion ce matin. Elle revenait de
l'école et quand elle est descendue du bus scolaire qui
s'arrêtait... »
La jeune recrue se penche
discrètement vers son voisin et lui glisse :
- « La petite
Marion, c'est qui, au juste ? elle est connue ? »
- « Pas encore, lui
répond le voisin. Mais elle va pas tarder à l'être, crois-moi »
lui assure-t-il avec la conviction de celui qui a l'habitude des
célébrités médiatiques éphémères.
« … qui
s'arrêtait devant chez elle », poursuit le journaliste. « Son
caniche, qui l'attendait impatiemment est alors sorti au galop du
jardin pour traverser la rue et lui sauter dans les bras. Mais un
camion est arrivé et n'a pas pu l'éviter. Le choc a projeté le
clébart à trente mètres. »
- « Marion. »
- « …! »
Kevin, tu pars en « envoyé spécial » sur place, tu fais les interviews des témoins. De ceux qui pleurent de préférence. En arrière plan, tu auras le camion qui a écrasé le chien et une photo de la gosse en incrustation.
Damien, tu creuses le
côté « la petite fille qui a grandi avec son chien», le
traumatisme que représente la disparition de son compagnon de jeu
avec qui elle a tout partagé etc etc... Je pense que je pourrai
obtenir sans difficulté une visite de Vals sur place, qui viendra
exprimer sa vive émotion. Je vais appeler l'Elysée et suggérer à
Hollande que l'expression de sa compassion envers la petite fille
pourrait lui amener des voix de mères de famille. Il pourrait aussi
envoyer un ou deux ministres. Celle de l'environnement me paraît
indispensable. Celui de l'agriculture aussi, pour se mettre les
défenseurs de la cause animale dans la poche. En fait, c'est
vraisemblablement tout le gouvernement qui viendra défiler devant nos caméras.
Ensuite, on fera assister
nos téléspectateurs à l'intervention du vétérinaire qui viendra
ramasser le cadavre du cleps. Un peu comme on a fait quand on a été jusqu'à filmer
l'enlèvement des carcasses du camion et du car à Puisseguin. »
Puis en énumérant sur
ses doigts, le rédacteur en chef continue :
- « Avec une enquête sur les dernières 24 heures du chauffeur du car de ramassage scolaire,
- l'interview de l'instit de la gamine qui nous racontera comment son élève s'est révélée une enfant toute joyeuse pendant toute la journée qui a précédé le drame, et qui était loin de se douter de ce qu'il allait lui arriver et blablaba et blablabla,
- et une description de l'autopsie du clébart avec des dessins animés, on devrait pouvoir tenir une bonne semaine sur ce sujet.
On tient là l'affaire du
mois, là, je vous le dis ! Allez, rompez, faites votre
noble boulot de journaliste!! »
La jeune recrue se lève,
abasourdie, sonnée comme un boxeur venant de prendre un uppercut.
- « Putain, je me
demande si je ne me suis pas trompé de métier ! »
pense-t-elle tristement.